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Edito

           Entre 1983 et 1985, Iégor Reznikoff et Michel Dauvois parcourent les grottes d'Ariège d'une manière bien originale. Ils étudient les fréquences de résonance des cavités, déambulent en chantant, repèrent les espaces les plus réverbérants, établissent une cartographie sonore des grottes puis la superposent à celle des fresques. Apparait une très forte correspondance entre les espaces de résonance et l'emplacement des éléments picturaux. Iégor Reznikoff et Michel Dauvois proposent une nouvelle discipline qui consisterait à re-découvrir les grottes du paléolithique, par le biais du son...[1]

 

            Cette découverte ouvre bien des perspectives de recherche encore inaperçues. Elle nous démontre que les tribus du paléolithique étaient sensibles à l'espace sonore, que cet espace sonore a contribué à développer un imaginaire, un langage musical, pictural. Cette découverte a une autre conséquence, elle nous rappelle que notre perception de l'espace et du sonore n'est pas uniquement la résultante d'un schéma culturel, éducatif, mais qu'elle est également ancrée dans un schéma inconscient, primitif, un schéma qui dirige notre définition de la notion même d' "environnement".

 

            Nous pourrions avancer qu'aujourd'hui nous modelons nos propre cavernes et que leurs résonances ont, à leur tour, un impact sur la manière dont nous percevons le monde. Nos outils de langage (notamment musicaux) sont en partie modelés par les caractéristiques sonores de nos cavernes. Ce cheminement peut être conscient ou non. Nous modelons des espaces architecturaux en maîtrisant plus ou moins bien leur futures résonances, puis nous jouons/vivons avec/dans ces espaces. Il n'est pas seulement question de musique, mais aussi d'ergonomie, d'ambiance, de confort. Les tentatives d'adéquation entre architecture, musique et son aboutissent souvent à des formes originales, faisant intervenir des savoir-faire, des langages et des imaginaires pluridisciplinaires. Cet ouvrage, introductif à une collection, n'a donc pas la prétention d'être exhaustif sur le sujet des relations entre architecture et musique mais présente des approches contrastées, des pratiques et des champs de connaissance variés.

 

            Le choix des articles, de ses auteurs (architectes, musiciens, artistes plasticiens, chercheurs, historiens, responsables de structures) est donc délibérément transdisciplinaire, laissant place à des approches différentes afin d'enrichir et de susciter de nouvelles réflexions.

 

            Cet ouvrage est introduit par Michel Retbi, qui nous livre sa vision des relations entre architecture et musique.

 

            Le premier chapitre de ce livre, très naturellement, aborde ces relations dans le contexte des sociétés traditionnelles. Catherine Basset dans un grand article, condensant de nombreuses années de recherche et de voyages à Bali et Java, relate les liens ténus et parfois complexes entre architecture et musique dans les sociétés balinaise et javanaise traditionnelles. Dans le même axe anthropologique, Aurelia Barbier-Domaradzka, a étudié l' Izba noire d' Europe centrale, endroit peu connu, avec l’intention de comparer le fonctionnement des traditions musicales, en particulier instrumentales, dans les sociétés pastorales.

            Le second chapitre étend la réflexion sur les relations entre lieux de représentation et musique. Jérôme Cambon, nous permet de comprendre comment les sociétés instrumentales angevines du 19ème siècle ont participé à la rénovation et à la valorisation de la cité. A l'opposé de ce contexte populaire, Sébastien Biset, interroge l'espace en relation avec la musique expérimentale et underground. La question du lieu, de son évolutivité au regard de la musique et les interactions entre espace et son, fonctionnent de manière presque centripète. On joue de l'espace, l'espace se transforme, s'adapte, et si tel n'est le cas, c'est la musique qui vient s'adapter à l'espace, à cet In Situ. Dans le prolongement de cette réflexion, Jean-Philippe Velu relate son expérience de création d'un spectacle sonore, spécifiquement conçu pour un espace architectural.

 

            L'architecte, souvent bien conscient des problématiques et des liens entre sonore et espace tente parfois de créer des "sphères" spatiales plus ou moins poreuses. Entre technicité et poésie, le Pavillon Bach, de Zaha Hadid, ici présenté par Matteo Melioli, joue des conventions, des porosités, précisément, en s'appropriant les codes de composition musicale tout en créant son propre langage architectural. L’espace architectural devient une "représentation de la musique qui y est interprétée en son intérieur". Si l'étude de cas du Pavillon Bach prend la forme d'une "extension" du schéma traditionnel de la salle de concert, il révèle également une volonté : sortir de l'espace de représentation conventionnel. Un autre type d'architecture est concerné par cette nécessité de faire voir et entendre la musique dans un contexte non conventionnel : le musée. Eric de Visscher, aborde cette problématique d'emblée : "Le musée est-il un lieu de musique ?". Il est intéressant de constater (entre autres !) que la réflexion à propos de l'intégration du phénomène sonore, musical, dans le musée tend à redéfinir la finalité même de cette architecture, en même temps que des extensions possibles de la musique.

            Dans un autre registre, le compositeur Benedict Mason nous propose une immersion dans son univers musical. Un univers à découvrir comme une "méditation intérieure".

 

            Le troisième chapitre aborde le langage et les matrices compositionnelles. Arnaud Hollard explore les éléments de langage partagés entre l'architecture et la musique, tandis que François Nicolas élabore un dispositif singulier : celui d’un face à face entre la catégorie architecturale d’échelle et la catégorie musicale de tempo. Laëtitia Derbez, par l'étude d'une œuvre de Luigi Nono, questionne de manière nouvelle la dimension spatiale dans la composition musicale.

 

            Le chapitre quatre explore certains aspects de l'écologie sonore. Carlotta Darò nous présente une généalogie du soundscape (paysage sonore), en prenant pour trame les travaux de Raymond Murray Schafer, initiateur de ce mouvement de recherche. Grégoire Chelkoff développe l’idée de processus d’appropriation de l’espace public, ainsi que ses problématiques en termes de mise en œuvre.

 

            La dernière partie de cet ouvrage collectif relate les problématiques et les relations entre architecture, musique et pouvoir. Carl Skelton nous présente son interview d'un responsable de salle de musique expérimentale à New York, une des premières en son genre, et met en exergue les relations qu’entretiennent création, architecture et musique dans le contexte des politiques culturelles et immobilières.

 

Cet ouvrage est jalonné par des illustrations de Frédéric Mathevet.

 

 

 

 

 

 

 

textes réunis par

Jean-Philippe Velu

 

 

 

[1] Reznikoff Iégor, Dauvois Michel. La dimension sonore des grottes ornées. In: Bulletin de la Société préhistorique française.

1988, tome 85, N. 8. pp. 238-246.

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